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« T’es forte »: des mots que je déteste (leur alternative)

Forte. Pour moi, c'est un mot à double tranchant. Alors qu'il peut chercher à encourager, il peut aussi créer l'illusion qu'on n'a pas le droit de tomber.
Photo de couverture Julian Santa Ana sur Unsplash

Il y a quelques années, quand j’étais moi-même une enfant, les mots « t’es forte » étaient souvent utilisés autour de moi. Ils désignaient quelqu’un arrivait à retenir ses larmes, qui réagissait face à un événement difficile de façon posée, sans « excès » émotifs. J’en suis venue à croire que d’être forte voulait dire affronter la vie sans se sentir affectée par les choses difficiles. De fil en aiguille, dans mon esprit, des associations se sont faites et une personne très émotive voire dépressive était le contraire de forte. Et comme moi, j’étais « forte », je n’avais pas le droit à ça.

C’est fou comme des mots se voulant bienveillants et anodins peuvent s’ancrer de façon différente dans la tête de chacun.

Avec le temps, le fait de refouler mes émotions a commencé à avoir des répercussions sur ma santé. Jusqu’au jour où j’ai été confrontée à l’évidence: je vivais une dépression, je devais aller chercher de l’aide et je n’avais pas du tout les outils pour le faire. Le mot « forte » ne me définissait plus. Je ne me reconnaissais plus.

Est-ce que cette histoire ressemble à la vôtre?

Voici ma petite histoire. Voici pourquoi je ne dis plus aux femmes qu’elles sont fortes et par quoi j’ai remplacé ça.

Pour moi, nommer ces choses est naturel maintenant. Je le fais régulièrement, tant sur mes médias sociaux que sur mon blogue ou ici. Parce que la santé mentale ne devrait pas être tabou. Ceci dit, il y a encore beaucoup trop de gens qui n’osent pas, parce qu’il y a encore beaucoup trop de gens qui portent un jugement.Karine Guy, Parler de la santé mentale, c’est déjà guérir un peu

Des traumatismes

Je fais souvent référence à la naissance de mon deuxième fils comme à un traumatisme. La réception du diagnostic de trisomie a marqué le début d’un long processus de transformation. Mais ce n’était pas le premier traumatisme auquel j’ai eu à faire face.

Ado

Avant celui-ci, il y a eu un cancer. On a découvert que mon père avait un cancer au cerveau quand j’ai eu 17 ans. Il est décédé quand j’en ai eu 18. À cette époque, j’ai pris soin de ma famille comme j’ai pu. C’était normal. J’étais assez mature pour le faire.

Troubles de sommeil, pertes de mémoire, stress, fatigue. Ça a fait partie de mon quotidien, mais je continuais à avancer. Je voulais réussir mon cégep en Sciences de la nature. C’était ce qui me permettait de montrer ma force, c’était ce à quoi je m’accrochais.

J’ai peu de souvenirs de cette époque, c’est étrange. Je me rappelle des levers de soleil alors que je complétais des rapports de laboratoire en pleine nuit. Je me sentais bien, la nuit. J’étais seule, dans le silence, ça m’apaisait. Pour le reste, c’est plutôt flou.

À un certain point, être forte était devenu synonyme de:

  • ne pas s’autoriser des émotions
  • ne pas avoir le droit de tomber
  • s’oublier
  • se faire violence
  • ne pas s’aimer assez pour s’écouter
Adulte

Un peu plus tard dans ma vie, alors que j’enseignais, une élève a voulu sortir de la classe alors que je me trouvais entre elle et la porte. Elle m’a plaquée. En voulant retenir ma chute, j’ai attrapé la poignée avec mon pouce. Il a disloqué.

Cet incident a engendré un chaos incroyable.

J’ai eu a expliquer la situation à la direction, au syndicat, à la commission scolaire, au médecin, aux assureurs, à la commission scolaire, à la direction, à la commission scolaire, au médecin, à la commission scolaire, … (Un accident de travail, ce n’est pas anodin.)

C’était mon pouce droit. Je ne pouvais plus écrire. Je ne pouvais plus faire grand-chose en fait. C’est fou ce que c’est utile un pouce quand on regarde ça. Un petit organe qui mettait ma vie sans dessus dessous.

Il m’a fallu plusieurs mois pour m’en remettre. Et surtout, cette fois-là, j’ai dû me rendre à l’évidence, pour la première fois de ma vie, que je n’étais pas la femme forte que je croyais.

J’ai pleuré, beaucoup. J’ai dû demander de l’aide, beaucoup. Et j’ai dû commencer à médicamenter ma dépression et mon anxiété.

J’ai juste le goût d’écrire sur toutes les mamans que je connais qui ont un ou des enfants « différents », malades et ou handicapés et qui sont sur le cul, fatiguées, malades, en arrêt de travail pour dépression, épuisement, cancer du col, entorses lombaires, anxiété, etc… Je pense aussi à celles qui tiennent bon, qui sont tombées ou qui tomberont. – Julie Philippon, Mères-courages…

Tomber

Le plus difficile lors de ma première dépression a été d’admettre que je n’arriverais pas à me relever seule. Ça revenait à dire que j’étais tombée et que sans aide, je ne pourrais pas me relever. Je n’étais pas la femme forte que je croyais.

Une évidence se dressais devant moi: je n’étais pas que tombée, je devais passer par-dessous toute l’image de moi-même que je m’étais construite jusque-là.

Je croyais vraiment être un pilier et cette fois-là, je ne l’étais pas. Est-ce que je m’étais mentie tout ce temps-là?

Tomber me forçait à déconstruire l’image que j’avais de la force.

Ça a pris du temps avant d’admettre que sans aide, je n’arriverais pas à guérir, mais une fois que je l’ai fait, j’ai réalisé à quel point j’avais résisté beaucoup trop longtemps et comment ça avait été de la douleur inutile finalement.

Pourquoi je ne dis plus aux autres qu’elles sont fortes?

À cause du chemin que j’ai parcouru, dire à une autre personne qu’elle est forte c’est comme lui dire qu’elle n’a pas le droit d’être fragile.

Et si c’était ça au fond d’être fort? Et si la réelle force, c’était la fragilité? Pourquoi on n’encouragerait pas ça?

Je suis retombée sur mes pieds, pensant que j’étais la même femme qu’avant. J’ai recommencé à vivre la vie comme je l’avais toujours vécue. Tout semblait bien aller, jusqu’au jour où ça n’allait plus.

J’ai réalisé ce jour-là que j’avais mis beaucoup moins de temps à me sentir débordée. Pourtant, j’ai voulu continuer en faisant comme si tout allait bien. Et je me suis complètement écroulée. – Karine Guy, Vulnérabilité: Et si ma force c’était d’être fragile

Ce que je dis à la place

D’abord, je me rends disponible autant que possible pour écouter l’autre. Dans ma nature, je ne cours pas nécessairement après l’autre, je le laisse venir vers moi quand il en ressent le besoin, mais je me rends disponible à l’écouter.

Je suis aussi à l’écoute des choses que la personne nomme, sans jugement. Si je ne comprends pas quelque chose qui est nommé, je pose des questions pour clarifier ce qui est dit et au besoin, je reformule.

Je nomme le fait que les émotions ressenties sont valides, quelles qu’elles soient. Et je donne l’espace pour laisser vivre l’émotion.

Je lui rappelle à quel point il est important qu’elle soit bienveillante envers elle-même. Parce que souvent, on a l’impression qu’il y a pire ailleurs et on ne s’accorde pas le droit d’être troublé par une situation « pas si pire » quand on compare à pire.

Ce temps d’écoute, cet espace, est, à mon avis, ce dont on a le plus besoin pour réussir à se relever plus fort. Beaucoup plus que de se faire dire qu’on est fort.

Qu’en pensez-vous? Qu’est-ce que ça veut dire pour vous « être forte »?

Karine d’Atypiquementparfaite.com

Collaboratrice pour Mamanbooh

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