Parfois, j’offre ma tribune à ceux qui n’en ont pas ou encore, qui souhaitent publier un texte de façon anonyme, comme celui-ci, sur l’intimidation.
Je vais vous raconter une histoire d’intimidation où la victime est devenue pour les intervenants, l’agresseur. Mon texte est entièrement rédigé pour protéger l’identité* des différents acteurs et de l’endroit où ça s’est passé.
Il était une fois une jeune ado de 13 ans, fréquentant une école du Québec en première année du secondaire. Comme dans bien d’autres écoles et comme vivent bien d’autres ados, la jeune se fait niaiser par, entre autres, un autre élève.
Intimidation: ça commence parfois comme ça
La jeune ado, qui bien que vivant dans une famille unie et aimante, a depuis quelques années déjà des troubles de l’humeur (oui, ça existe des enfants et des ados et qui font une dépression même s’ils sont bien entourés !) et le « niaisage » de l’autre élève l’atteint plus que la moyenne.
Seule, elle est incapable de se faire une carapace et de l’ignorer comme le lui a recommandé le personnel de l’école actuelle. Mais, dans le fond, avec le recul, je ne connais personne qui aurait subi ça sans réagir, sans avoir mal, qui a le droit de faire vivre cela à d’autres personnes. Et ici, le « niaisage » ne veut en rien être réducteur des gestes et actions reçues.
Le poids des mots
Un beau jour, n’en pouvant plus, elle avoue à un intervenant, dans son bureau, qu’elle aimerait que son intimidateur disparaisse. Voulant lui faire préciser sa pensée, l’intervenant lui fait une mise en situation : « si tu avais une arme devant toi, est-ce que tu t’en servirais contre l’autre élève ? Et l’ado dans sa douleur et sa lassitude de souffrir a répondu…oui ».
Faire des menaces de mort sans le savoir ?
BANG!
Suspension immédiate pour une durée indéterminée. On ne dit rien au parent de l’ado qui vient le chercher à l’école. Tout ce qu’ils ont pour comprendre ce qui se passe est une feuille sur laquelle est coché le comportement reproché à la ligne « autre » : MENACE DE MORT SUR UN AUTRE ÉLÈVE.
Le parent tente de comprendre, pose des questions, en personne, au téléphone (évidemment sur boîte vocale), par courriel : pas de réponse. Silence radio. Pendant plusieurs jours.
Une plainte à la police
Par contre, signalement immédiat aux parents de l’autre élève, qui portent plainte à la police. L’ado est en état d’arrestation et doit se présenter au poste pour donner sa déposition. Convocation en cour programmée pour quelques semaines plus tard.
L’ado peut regagner l’école une semaine plus tard avec l’interdiction d’approcher l’autre élève, de lui adresser la parole. On lui propose de changer de classes (car il change de groupe à chaque matière). L’ado refuse, découragée à l’idée de devoir tout recommencer: contact avec les profs, élèves inconnus, etc. Quand l’anxiété et les relations sont déjà des défis, c’est lourd à porter.
Un passage à la cour
Finalement le jour du tribunal, un avocat désigné par la cour rencontre la jeune et ses parents dix minutes avant de passer devant le juge. Il leur propose d’aller en sanction extrajudiciaire sans trop expliquer de quoi il s’agit.
La raison pour laquelle je vous ai raconté cette histoire est la suivante : je veux éviter à quiconque d’avoir à passer par ce processus stressant (autant pour la famille de l’accusée que pour celle de la «victime» pour laquelle il n’y avait aucun danger réel).
Pour éviter que cela se reproduise
Parents et intervenants, sachez et enseignez à vos enfants (n’attendez pas qu’ils soient adolescents) ces quelques informations pour éviter que cela se reproduise:
- À partir de l’âge de 12 ans, les individus sont responsables de leurs paroles aux yeux de la loi
- Même s’ils en voient passer beaucoup sur les médias sociaux sans qu’il semble y avoir de conséquence, toute menace de blesser ou tuer quelqu’un, qu’elle soit faite directement à la personne ou à quelqu’un d’autre, verbalement ou par écrit, et même avec des facultés affaiblies, peut (doit!) faire l’objet d’une plainte à la police
- Même si c’est l’INTERVENANT qui évoque le recours à la violence et aux armes, le fait de répondre un simple « oui« , même petit, hésitant ou non réfléchi, à la question « t’en servirais-tu? » représente aux yeux de la loi une menace de mort.
Malheureusement dans le cas de la jeune de cette histoire et sa famille, il aura fallu passer par tout ce douloureux processus pour l’apprendre à la dure.
Un appel au secours qui tourne mal?
Quand je pense qu’une simple question ouverte comme « comment penses-tu t’y prendre? » – tout comme on demande à un jeune qui menace de se faire du mal à lui-même pour évaluer les risques qu’elle passe aux actes – aurait permis à l’intervenant de comprendre que l’ado n’a jamais eu l’intention de blesser qui que ce soit, mais tentait de dire « au secours! Aidez-moi ! Je ne sais plus comment faire pour arrêter de souffrir! Pour que cette personne arrête de m’intimider, de me niaiser« .
S’endurcir? Vraiment?
Pouvez-vous croire que l’intervenant de l’école, la direction, l’agent de police et l’avocat ont tous dit à l’ado, l’un après l’autre, qu’il fallait qu’elle s’endurcisse? Le représentant de la loi a même ajouté qu’elle rencontrerait des gens méchants toute sa vie.
Alors que la jeune lutte pour s’y accrocher, justement, à cette vie si difficile. Moi je préférerais qu’on enseigne aux jeunes qu’on doit se respecter et respecter tous les autres. Tout le temps.
Vous êtes témoin d’une menace ? Agissez ! Nous sommes TOUS responsables. C’est notre devoir de citoyen. Comme le dit souvent Julie Philippon, en faisant référence à l’expression qui dit que « ça prend un village pour élever un enfant« , le village, c’est NOUS !
À partager sans retenue!
* Toutefois, pour ceux qui connaissent personnellement les acteurs de cette histoire vraie, svp évitez de donner des noms ou des lieux qui permettraient d’identifier les personnes, la famille ou l’école. Mon but n’est pas de juger les interventions faites, mais d’éduquer la population.
L’amie de Julie, la maman de l’ado.
Ressources:
- Qu’est-ce que l’intimidation?
- L’intimidation: comment la reconnaître et réagir?
- Tel-Jeunes: 1 800 263-2266
- Jeunesse, J’écoute: 1-800-668-6868